« … à nous intégrer, par l’amour, à l’œuvre éternelle en voie d'accomplissement »
« … à nous intégrer, par l’amour, à l’œuvre éternelle en voie d'accomplissement »
« Le malheur ne les courbait pas.
Ils allaient, éclairés d’élection,
Et leur complot était l’amour des hommes. »
Albert Cohen
Je vais essayer, au travers de ce que je sais de la Cabbale, d’exprimer comment je ressens cette phrase d’un rituel du 18ème Degré du REAA.
Le parcours commence avec le Cantique des Cantiques (Chir haChirim) qui n’est pas seulement un livre. Il appartient à la série des écrits que l’on nomme en hébreux Meguila, c’est-à-dire « rouleau ». Ce mot veut dire plus que la seule forme physique du livre qui se présente sous la forme d’un rouleau de parchemin. La racine du mot Meguila renvoie à la dimension de dévoilement d’un secret.
De quel secret s’agit-il ? Sans aucun doute du secret de l’amour !
La question essentielle en effet que pose le Cantique des cantiques, est celle de l’amour, aussi bien entre les hommes et Dieu, qu’entre les humains eux-mêmes.
Qu’est-ce que l’amour ? La question est là, au cœur de ce texte et de ses commentaires, et en particulier ceux de la Cabbale.
La Cabbale est l’histoire de la relation entre les mondes de l’En-haut et les mondes de l’En-bas, histoire de la nostalgie réciproque entre le Créateur et sa créature.
« D’un côté l’homme, et sur l’autre rive, D.ieu. D.ieu et l’homme sont séparés, et c’est au sein de cette séparation, de ce « monde du milieu » (Emtsa) , évacué par l’un et par l’autre, que surgit leur relation.
La Cabbale, c’est d’une part le défi lancé par D.ieu à l’insurmontable abîme qui sépare le Créateur de la créature. Et c’est d’autre part le défi lancé par l’homme au même intervalle qui sépare le fini de l’infini, l’Offrant de l’Accueillant. » (M.A. Ouaknin)
La relation avec l’Autre, D.ieu, Source de toute vie, Lumière des lumières – Or haorim – , est une relation transcendante, ce qui veut dire qu’il y a une distance infinie et, en un sens, infranchissable. Une tension cachée, profonde, irréductible les oppose, les éloigne l’un de l’autre.
Abîme irréductible, « Et pourtant… »
La séparation engendre un désir profond pour l’autre, une nostalgie exacerbée qui va se traduire par un ensemble de paroles et d’actions qui constituent le cœur même de la pratique cabbalistique.
Les grands mystiques traduiront ce désir nostalgiquement fou pour le Créateur par des prières et des poèmes d’amour. Il devient dès lors assez difficile de distinguer un poème d’amour érotique, d’un poème mystique qui décrit la relation de l’homme à D.ieu et réciproquement.
On peut comprendre ainsi que la Cabbale n’est pas seulement une science, mais un art : un art du cœur et du savoir aimer.
La Cabbale exige une certaine « habileté de cœur » difficile à acquérir. C’est-à-dire qu’un « savant » doit tendre à être aussi un « juste ». Sans doute le cabbaliste commence son ascension vers la Lumière à partir de l’amour des hommes, pour ensuite s’ouvrir à un amour plus vaste, universel, qui n’est pas l’oubli de l’amour pour un individu, mais sa plénitude.
« Quand on est amoureux, nous dit Charles Mopsik, on met une seule personne, jolie de préférence, au centre du monde. Quand on aime d’un amour de personne – c’est à dire qu’on aime d’un amour pour tous – , on met le monde au cœur du monde. Bien sûr, on n’est jamais à l’abri d’une rechute ! Mais quand même, quelle douceur d’aller partout avec l’insouciance de ce saint, qui entrant dans le château du roi, enlevait son manteau et l’accrochait à un rayon de soleil… »
La science ne suffit pas, il faut aussi de l’amour. La Cabbale est le juste équilibre entre « l’amour de la Sagesse » et la « Sagesse de l’amour »… Dans cet équilibre le cabbaliste peut s’engager sur le Chemin de la Lumière et le Sentier de la Rectitude et en faisant œuvre de redressement (Techouva), par la libération des étincelles il approchera de la possibilité de restauration (Tiqoun).
Le schéma de la Cabbale n’est donc pas seulement un chemin qui mène du Créateur vers la créature et vers le monde, mais une voie qui remonte aussi du monde vers la source de toute vie et de toute lumière. La prière devient l’expression la plus parfaite de cette volonté d’entrer en relation avec la Source de la Lumière.
« L’homme-priant, écrit André Neher, c’est l’homme tendu, l’homme qui se met en route, l’homme qui se projette ainsi de bas en haut…. De toutes les manières d’approcher D.ieu, la prière est la plus caractéristique de l’essence de l’homme car elle garantie la pureté de ce qui ne peut être qu’approche… En priant, l’homme adopte la seule dignité qui réponde à sa nature créée : celle du pauvre, qui est toujours dehors, devant la porte qu’il ne pourra franchir, et qui, privé des ressources plénières de vie et de chaleur, les quémande en position d’accueil. Prier, pour l’homme, c’est mettre des habits d’humilité, les tephilines et les tsitsit, qui permettent d’identifier en lui la créature séparée, impuissante, dont les seules armes sont l’attente, les mains tendues dans le vide de l’univers. »
Mais l’homme n’est pas seul car, selon la Cabbale, « de l’autre côté de ce vide de l’univers, D.ieu prie, lui aussi …. » Un texte étonnant du traité talmudique (Berakhot 7a) enseigne que D.ieu prie : « Rabbi Yohanan dit au nom de rabbi Yossi Ben Zimra : D’où savons nous que D.ieu prie aussi ? Parce qu’il est dit : Je les amènerai sur Ma montagne sainte et je les réjouirai dans Ma maison de prière (Isaïe 56,7). « Dans Ma maison de prière », est-il écrit, et non « dans leur maison de prière » : Donc le Saint Bénit-Soit-Il prie. »
Quelle est sa prière ? Rav Zoutra bar Touvya dit : « La prière est la suivante : ‘‘Puisse ma volonté être que ma compassion l’emporte sur ma colère, que ma compassion se dévoile au-dessus de mes autres qualités. Puissé-je traiter mes enfants selon mes attributs de bonté (Héssèd) et demeurer en leur faveur en deçà de la stricte ligne de justice (Din / Guevoura)’’. »
« La prière n’est pas le côtoiement de deux monologues mais un véritable dialogue de bénédiction. La bénédiction, c’est la rencontre de D.ieu et de l’homme à travers, mais aussi par-delà leur solitude » (M.A. Ouaknin.)
Le mot bénédiction en hébreux se dit Berakha, de la racine BRKH qui a donné aussi le mot bérèkh signifiant « genou ». La bénédiction, c’est l’articulation du dialogue. En priant l’homme ne fait pas seulement que demander, il montre qu’il est ouvert à un autre que lui-même, que sa personne se constitue toujours et déjà dans un ‘‘pour l’autre’’.
« Exister écrit encore André Neher, c’est d’emblée être pour autrui. Il n’y a pas d’existence égoïste. L’existence, c’est ce qui se révèle, se manifeste, se donne. Car ce qui est pour soi-même ne peut être appelé existant. L’existence est ce qui existe pour … »
Ce qui implique que la dualité n’est plus dès lors le symbole de la déchirure ; elle est le signe de l’existence. On comprend aussi pourquoi le premier mot du récit de la Création, Beréchit, tout comme le mot Berakha, « bénédiction », commence au nombre « Deux ». La Cabbale se joue dans l’ordre du Beth, « dans une tension permanente entre la distance et la proximité, instable milieu qui est simultanément abîme et pont, blessure et bénédiction ».
Les maîtres de la Cabbale font remarquer que le « lien-tension » qui existe entre le « Or/lumière » et la «Cabbala/réception » est du même ordre que celui qui existe entre le féminin et le masculin.
La démonstration s’appuie ici, comme dans de très nombreux cas sur le pouvoir des chiffres et des nombres de révéler certain secrets.
Le Rav Marc-Alain Ouaknin nous en dévoile quelques uns :
« …ainsi la valeur numérique du mot Or (lumière) est de 207. Il s’écrit en effet aleph-wav-rèch, c’est-à-dire : 1 + 6 + 200 = 207. La valeur numérique de Qabbala est de 137, car elle s’écrit Qouf-Beth-lamed-hé, c’est-à-dire : 100 + 2 +30 + 5 = 137. La valeur numérique qui représente le lien kabbaliste est ce qui va de la Lumière à la réception de la Lumière, c’est à dire : 207 – 137 = 70 »
Le nombre 70 est le nombre clef de la Kabbale puisqu’il est la valeur numérique du mot Sod, qui signifie le secret. La Guématria nous enseigne donc, que le secret est la venue de la Lumière depuis sa Source jusqu’à sa possibilité d’être reçue.
Suivons maintenant un auteur plus ancien qui nous fait remarquer que le mot « masculin » en hébreux zakhar, possède une valeur de 227, c’est-à-dire : 207 + 20, qui s’écrit en hébreux Ké-Or, « comme la lumière ». Le mot « féminin », en hébreux nequéva, possède une valeur numérique de 157, c’est-à-dire : 137 + 20, qui s’écrit en hébreux Ké-Qabbala, « comme la réception ».
Ainsi la distance et le lien qui existent entre le masculin et le féminin, entre 227 et 157 est aussi de 70, et constitue le secret fondamental de la Cabbale.
Comme la problématique du masculin et du féminin est centrale dans la Cabbale et dans les métaphores poétiques du Cantique des cantiques, il est important de préciser ce qu’il y a lieu d’entendre par ces termes. Il ne s’agit pas seulement de la structure duelle de l’humain, mais de celle de tout l’univers. Pour la Cabbale, le monde est entièrement masculin et féminin. L’homme est masculin et féminin. De même la femme est à la fois masculin et féminin. Le vivant repose sur cette dualité. Le masculin est ce qui donne, en hébreux notène. Le féminin est ce qui accueille, en hébreux meqabèl. Il y a masculin quand il y a épanchement de l’influx : offrande de Lumière. Il y a féminin quand il y a « résidence » de la Lumière. On parle alors de la Chekhina. Ainsi un homme qui reçoit et accueille est « féminin », et une femme qui offre est dans la dimension de la Source de la lumière et du don, elle est dans le mode « masculin ».
En hébreu, le mot « masculin » se dit zakhar. Ce mot a la même racine que zékhèr, qui signifie le « souvenir ». Le mot masculin est donc associé au souvenir, à la mémoire. Il inscrit la parole dans une généalogie, une suite de générations. André Chouraqui nous dit que « les paroles du texte biblique sont au masculin, parce qu’elles sont gravées sur la pierre, ou tracée à l’encre sur un parchemin. Elles font ainsi mémoire et peuvent se transmettre de génération en génération. »
Ce n’est pas un hasard si le mot « pierre », évèn, est formé, en hébreu, des mots « père » et « fils », av et bèn. A signaler au passage que le mot « père », av (aleph-beth), est constitué de deux lettres qui expriment le mot « alphabet » La « parole du père » s’inscrit comme ce qui doit être transmis aux enfants, et par les enfants, constituant ainsi le lien généalogique.
Mais alors comment comprendre le « féminin »?
En hébreu, ce mot a une racine qui se dit nequéva, qui est la racine du mot « trou » : néquèv. Ainsi, articulé à la mémoire, masculine, le féminin serait un « trou de mémoire », sans jeu de mots.
Là ou le masculin inscrit, la parole féminine dés-inscrit ; ce sont, nous dit M.A. Ouaknin, « les blancs du texte, le vide, qui permettent au sens de ne pas être tourné uniquement vers le passé mais de relancer le sens, de créer un « nouveau sens », du neuf, de faire naître un enfant en quelque sorte. ». Ainsi le masculin constitue le lien généalogique, et le féminin le lien identitaire (on est juif par la mère).
On peut dire que le masculin implique savoir et certitude, le féminin questionnement et recherche.
Si je ne suis pas capable d’oublier, j’amasse du savoir, mais je n’invente rien, je serais incapable d’innover. Or, dans la Cabbale, la « Loi écrite », le texte de la Tora est justement masculin, alors que la « Loi orale », le commentaire est féminin…
Le « secret » de la Cabbale est le schéma fondamental dont le symbole numérique est 70. C’est aussi la tension qui existe entre le « masculin » et le « féminin » qui prend un autre nom dans la Cabbale : l’amour !
L’amour est le « secret des secrets », et c’est à partir de lui que se dévoile le Tétragramme YHVH comme Emtsa, « milieu », fondamental.
En effet, l’amour en hébreu, se dit Ahava, mot qui s’écrit aleph-hé-beth-hé et sa valeur numérique est 13.
Selon le schéma fondamental complet où la relation entre l’Offrant et l’Accueillant est réciproque – le Haut est comme le Bas –, le Emtsa, « monde intermédiaire ou monde du milieu », est constitué par l’Amour qui vient de la Source de la Lumière vers le monde, et de l’amour du monde vers la Source de la Lumière. Ce schéma peut se lire aussi comme l’addition numérique des deux amours, 13 + 13, ce qui donne le nombre 26. Or, le nombre 26 est précisément la valeur numérique du mot havaya qui signifie l’existence. Havaya s’écrit en effet hé-vav-yod-hé : 5 + 6 + 10 + 5 = 26. Il est plus aisé de comprendre le double sens de ces remarques quant on sait que le mot havaya est une anagramme du Tétragramme YHVH qui possède lui aussi une valeur numérique de 26.
Si aimer c’est aller vers l’autre, c’est d’abord maintenir ouvert l’écart, la distance entre le même et l’autre. Le prochain, en hébreu réa, se définit comme celui qui n’a pas de définition ni de stabilité. Le prochain peut-être aimable, digne d’être aimé aujourd’hui ; mais demain il est possible qu’il ne soit plus du tout sympathique. « Tu aimeras … » ne fait aucune difficulté quand il est aimable, mais c’est une autre paire de manche quand il ne l’est plus. C’est pourquoi « tu aimeras (pour) ton prochain … devrait se dire : « Tu respecteras l’instabilité existentielle de l’autre, qui te rappelle la tienne, ta propre instabilité. »
Ce n’est pas parce que l’autre est instable, qu’il change, qu’on ne doit plus l’aimer. On doit l’aimer parce qu’il est autre. « Tu aimeras ton autre » (ton autre qui ne reste pas le même) : voilà ce que dit le commandement.
Pour comprendre ce rapprochement, il faut faire un détour par la Cabbale de Rabbi Itshaq Louria (1534-1572), qui contient une théorie très originale de la Création, appelée Tsimtsoum.
En général, on dit que D.ieu a créé le monde à partir de rien, ex nihilo. Par exemple, Il a dit : « Que la Lumière soit ! », et la lumière fut. Et de même pour le reste de la Création. Or la Cabbale énonce exactement l’inverse : le monde a été créé comme rien à partir de quelque chose.
Pour la Cabbale, au début, il existe une seule réalité, absolue, infinie, qui remplit tout, de haut en bas et d’un côté à l’autre : c’est l’être de D.ieu. Ce n’est donc pas le rien qui existe, mais « le tout absolu ». Et cette « lumière supérieure infinie », comme l’appelle la Cabbale, occupe tout l’espace existant. Il n’y a pas de place pour autre chose. Logiquement le monde n’est pas possible. Pourtant nous sommes là et le monde existe.
Que s’est-il passé ? Selon Rabbi Itshaq Louria, la lumière infinie s’est rétractée, retirée, au centre de l’Infini. Cette contraction-retrait, c’est le Tsimtsoum. D.ieu a laissé un vide, un espace vide, sans Dieu, a-thée. Pour la Cabbale, l'univers est né non pas parce que le Créateur a créé de l’être, quelque chose, à partir de rien, mais parce que D.ieu, l’Infini, a laissé de la place, un vide à partir duquel la Création a pu avoir lieu. Rabbi Itshaq Louria se demande en outre quelles forces sont à l’œuvre à partir de ce moment pour maintenir l’Infini à la périphérie, pour qu’il ne revienne pas remplir l’espace vide qui s’est creusé en lui. Cette attention de R. I. Louria indique sa perception d’un monde toujours en devenir … comme l’homme (l’homme étant le microcosme du macrocosme, il peut être considéré comme un monde à lui seul), du fait de son manque et de son incomplétude est en devenir permanent.
Son « Je suis » se révèle être une subjectivité d’emblée engagée dans une relation d’échange avec autrui, c’est à dire dans une relation éthique. Le « je suis » n’est jamais seul : en face de lui, il y a toujours un « tu ». En disant « je suis », je dis en même temps « tu ». Il y a toujours un « je-tu » ou un « je-il », le même et l’autre.
Nous voici au point central du sixième commandement : l’interdiction, c’est de tuer le « je suis », ce qui est à proprement parler la vie d’autrui, la parole, l’« âme de vie », la bonté qui sont en lui. Mais cela justement implique distance et intervalle. La bonne distance avec autrui est un gage de respect et d’amour : il n’est pas englobé alors en nous, ni dans le grand tout du monde et de l’Histoire. Il est « lui » avec son « je suis ».
Comment maintenir la distance ? En (se) parlant. Comme le dit Emmanuel Levinas, « le monde prend sens à partir d’autrui, de mes relations avec autrui. Si autrui existe pour moi, s’il est respecté dans la juste distance, le monde s’ouvre à nous. ». « Offrir le monde à autrui par la parole », dit encore Lévinas.
« Offrir », c’est à dire sortir de la relation purement utilitaire ou fonctionnelle avec les choses pour les faire entrer dans un monde humain de relations.
Les maîtres de la Cabbale ont dit que l’existence provient du vide, et il est évident que la circoncision n’est pas étrangère à toutes ces réflexions. A l’âge de huit jours, le petit garçon juif entre dans l’Alliance par cette coupure. En enlevant un petit morceau de peau, elle introduit un manque. Ce manque, ou ce vide, marque l’inachèvement, l’imperfection ; il fonde du coup l’existence comme désir d’entrer en relation, de s’inventer autrement. Celui qui est totalement lui-même, « plein » de lui-même, n’a besoin de rien ni de personne. C’est un « je » qui n’a pas besoin de dire « tu » (et c’est aussi son malheur, est-il nécessaire de le dire ?). L’imperfection appelle le désir et la possibilité du dépassement, de la transcendance. La coupure de la circoncision symbolise ce manque créateur.
Le don des Dix Paroles au Sinaï est marqué par un événement extraordinaire : Moïse reçoit les tables de la Loi et ensuite il les brise ! Don de la Loi, mais aussi don de la brisure : voilà ce qu’il faut comprendre. La Loi comme un tout, donné et appréhendé une fois pour toute, n’existe pas.
Moïse était monté sur la montagne et devait redescendre avec la Loi.
Il est en retard… comme le Messie, qui sera toujours en retard … Les enfants d’Israël perdent patience et confectionnent l’idole, un veau d’or.
L’idolâtrie commence avec l’impatience. L’impatience, refus de donner la possibilité au temps d’être temps. De laisser à l’autre l’espace dont il a besoin pour vivre, pour être. Volonté de supprimer ou impossibilité de supporter le vide, impossibilité de faire place à l’autre, au neuf. L’impatience ne laisse pas la possibilité au temps de se déployer.
L’expérience du don de la Loi est pourtant justement celle de la patience qui implique un retrait, une maîtrise de la pulsion, la distance et l’écart. Alors, la main va dans le monde, vers D.ieu, vers autrui, sans jamais se fermer en une prise, sans laisser se former la violence du poing fermé. Les doigts restent ouverts. « N’oubliez pas que le poing lui aussi était autrefois une main ouverte avec des doigts » (Yéhouda Amihaï)
Mais pour « nous intégrer à l’œuvre éternelle en voie de restauration », il nous faudra réaliser notre Tiqoun. Le Tiqoun qui signifie « réparation », « restauration », ou « réintégration », est le processus par lequel l’ordre est rétabli.
Selon la tradition, l’homme constitue comme l’apogée, le fruit, le résumé de la création toute entière, et si l’homme est un « microcosme », de façon à la fois symétrique et réciproque, l’univers peut être regardé comme le gigantesque « macrocosme » de la structure humaine. Il peut et doit s’en suivre une interférence de causalités réciproques entre l’un et l’autre, qui constitue la source de toute « restauration » de l’univers créé.
C’est ce qu’on appelle la « doctrine de l’influence ». On pourrait dire que l’effet ne cesse d’agir sur la cause, et le microcosme sur le macrocosme.
L’homme demeure donc maître de l’aventure cosmique. Et s’il lui a imprimé, par le péché, une direction faussée, la possibilité lui demeure toujours offerte d’un redressement, par le biais du retournement de son propre cœur : la conversion (teshouva). Au sujet du « bien et du mal », Rabi Siméon Bar Yohaï invoque la nécessité de la Loi – donc la distinction du bien et du mal – comme fondement de la liberté. Il en ressort que c’est en définitive, la liberté – présupposant la Loi – qui constitue le fondement suprême de l’univers.
Mais, concrètement, comment devenir un homme dont chacun des actes peut se voir revêtu d’un pouvoir de libération à l’égard de l’univers? La principale condition à remplir, c’est celle de l’élévation de l’âme vers la divinité, une élévation qui consiste en une « descente ».
Semblable perspective est familière aux intimes de la Merkavah. Il faut entendre par là tout un ensemble de réflexions, de méditations, de commentaires, inspirés par le célèbre texte qui inaugure les grandes visions d’Ezéchiel : la description du Trône Divin. La contemplation d’une semblable vision divine, voilà ce à quoi est invité l’homme s’il veut parvenir à la pureté du « juste ». Le chemin à parcourir pour atteindre le fruit d’une telle « contemplation » est laborieux et semé d’embûches. Mais s’il tient bon, ce « chercheur de D.ieu » (Ps 14-2), voici que « le ciel s’ouvre devant lui ; non qu’il y monte, mais il survient quelque chose dans son cœur qui le fait entrer dans la vision divine ». Quoi d’étonnant à cela, puisque « les choses inférieures, en général, sont suspendues aux choses supérieures……. et que l’homme se trouve virtuellement en rapport avec leur degré le plus sublime »
Mais cette mystique de la Merkavah, si importante soit-elle, est loin d’épuiser l’effort de la pensée cabbalistique pour la « restauration » de l’homme. Selon Rabi Isaac Louria, par suite d’un drame cosmique initial – la brisure des réceptacles – des fragments des vases brisés seraient tombés, comme autant d’étincelles de lumière, dans l’opacité de la réalité matérielle dont elles se trouveraient revêtues comme d’une sorte d’écorce (kelifah).
La restauration de l’homme va consister principalement dans la recherche d’une libération des étincelles captives : c’est l’œuvre du Tiqoun, c’est à dire du « redressement ou restauration».
Il existe un lien étroit entre le Tiqoun et le messianisme. Si l’homme parvient, par son incessant effort, à « libérer les étincelles » et donc à « redresser » l’œuvre de la Création, c’est l’avènement messianique qui, du même coup, va se trouver aux portes. L’homme est donc capable de hâter l’arrivée du Messie ; car il s’agit là, pour R. I. Louria de « la consommation du processus continuel de la restauration ». C’est aussi dire que la « venue du Messie, c’est le monde du Tiqoun qui a reçu sa forme finale ».
D.ieu est Celui qui a révélé au mont Sinaï un texte, la Loi qui ordonne l’éthique, le respect du visage d’autrui, la bonté. L’homme ne peut se soustraire à cette responsabilité pour autrui, car il est le seul à pouvoir répondre et faire ce qu’il a à faire.
L’ « élection » n’est rien d’autre : elle est cette responsabilité infinie.
Par la Création, D.ieu a permis au monde d’exister.
Par la Révélation, Il a permis qu’existe la Loi qui rend possible la coexistence et l’amour des hommes entre eux.
Victor Chelli
Mots hébreux utilisés et non commentés.
Emtsa : Monde intermédiaire. Si le but de la Cabbale est de permettre à l’homme de recevoir la lumière infinie, il existe en fait différents chemins et moyens que l’on peut emprunter pour réaliser la descente et le passage de la lumière. Entre la « lumière source » et la réception, les intermédiaires sont multiples. Certains parleront de sefirot, d’autres parleront d’anges, ou encore d’arbres, d’autres d’échelles, d’autres encore de noms divins, d’autres de « Juste » (tsadiq), etc. L’étude de la Cabbale, c’est l’étude de ces différents chemins. Pour la Cabbale, il existe ainsi trois mondes :
le « monde d’en haut », le Olam haElyone : lieu source de la lumière ;
le « monde d’en bas », le Olam haTahtone : lieu de la réception de la lumière ;
le « monde intermédiaire », le Olam haEmtsaï : lieu de l’ensemble des voies différentes mais possibles qui réalisent le passage de l’en haut à l’en bas. L’image la plus juste pour représenter ce monde intermédiaire du emtsa est sans doute l’échelle de Jacob sur laquelle montent et descendent les anges célestes.
Guematria, Gematria : Technique visant à dévoiler la signification profonde, cachée ou différente des mots et des phrases. A chaque lettre de l’alphabet hébreu correspond une valeur numérique, ainsi qu’à chaque mot, si l’on additionne la valeur des lettres qui le composent. Comme le terme même l’indique, la gematria n’est pas une invention juive ; la technique était déjà en usage chez les Grecs, les Assyriens et les Babyloniens.
Merkavah : Vision du Char d’Ezechiel. Le but de cette technique est d’arriver à la contemplation du Char. Semblable connaissance, semblable contemplation requièrent un rude apprentissage. Il existe toute une série de techniques rigoureuses. Il faut jeûner douze, parfois quarante jours. Certaines « postures » sont recommandées, et notamment celle d’Elie, le Prophète qui, sur le mont Carmel, avait prié, courbé vers la terre et « son visage entre ses genoux » (1 Rois, 18,42-43) De longues prières, de longues litanies. Il faut que tant de degrés puissent être heureusement franchis avant que le contemplatif parvienne à passer victorieusement le seuil de l’extase. Car la « descente » vers la Merkavah n’est autre, en fait, qu’une sorte de « montée » vers un état extatique.
Tephilines, Tephillin : Deux lanières de cuir terminées par un cube de cuir. A l’aide des lanières on fixe un cube sur le bras gauche et l’autre sur le front. Les deux boites qui les constituent contiennent, sur des petits rouleaux de parchemin, les passages bibliques suivants : Deut. 6,4-9 ; 11, 13-21 ; Ex. 13, 1-10, passages considérés, par la tradition, comme la base scripturaire de cette coutume, considéré comme un commandement positif de la Torah Les passages en question parlent de l’amour de D.ieu comme postulat central du judaïsme, de la récompense divine et du souvenir permanent de l’Exode. Les Tephilin sont encore le symbole du devoir aimer Dieu et les rappels permanents des bienfaits du Créateur. Les Tephillin ne se portent jamais sans le Tallit , châle de prière qui devait recouvrir les deux tiers du corps. Le point de départ de cette coutume est selon la tradition, Nomb. 15, 37-41. Le Tallit est le symbole de l’acte de s’ « envelopper » ou de se « revêtir » des commandements de la Tora comme d’un vêtement, et donc de l’abandon total à la volonté de D.ieu. Le Tallit se termine par des franges. Ces franges ou Tsitsit sont faites de 613 nœuds correspondant aux 613 commandements, soit 248 « tu feras » et 365 « tu ne feras pas ». Les jours de fêtes et le shabat on ne porte que le tallit.
Teshouva, Teshuva : La notion de Teshuva – terme traduit généralement par repentance – occupe incontestablement une place dominante dans le judaïsme, qui en fait la clef de voûte de son éthique et un concept essentiel de sa théologie. Elle implique une idée de retournement ou retour, et en ce sens le retour de l’exil de Babylone en est une illustration parfaite. Dans la Tora cette expérience ne peut se comprendre que dans le cadre de l’Alliance conclue entre D.ieu et l’homme. Ce dernier n’est jamais seul : il est toujours sollicité et interpellé par D.ieu, un D.ieu soucieux de l’homme et intéressé par sa conduite. Cette initiative divine se présente souvent sous la forme d’un commandement, mais ce qui importe dans cette injonction, autant et peut-être même plus que l’impératif de la loi, c’est la relation dialogale. Aussi le péché est-il la lésion d’un lien personnel, mais jamais une rupture définitive. Le point de départ n’est pas le péché de l’homme mais bien au contraire l’affirmation fondamentale de la capacité humaine de faire réussir le projet divin pour la création, qui est à la base de précepte et du sens profond de l’Alliance.
Shekhina : Terme qui signifie littéralement demeure. Dans la littérature rabbinique, il évoque la présence divine dans l’univers et, surtout, au sein même du peuple d’Israël, auquel elle confère un charisme particulier. Il s’agit d’une sorte de pont entre D.ieu et les hommes. Elle est souvent associée à la lumière, la radiance du Créateur.
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